Il y a des jours avec et des jours sans

« Tain fait chier ! »

La douce mélodie de l’exaspération parvint aux oreilles de la traqueuse. Elle pivota machinalement de soixante-huit degrés sur sa droite, telle une machine ; ses yeux se posant sans faille sur la tête de l’intéressé. Accroupi contre un mur, ses loques fraternisant avec la crasse de la ruelle, un jeune homme – selon toute vraisemblance- se prenait la tête entre les mains d’un air excédé. Natalia aurait très certainement poursuivi son chemin si un éclat de très mauvais goût n’avait pas attiré son regard sur le –supposé- sans domicile. Ses mains étaient gantées. Et tout contre ses phalanges battaient de minces chaînettes d’argent, symbole par excellence de la fierté des Traqueurs. Ce détail insolite laissa Natalia de marbre. Elle avait été habituée à côtoyer des confrères avec plus de panache, aussi finit elle peut être par ressentir –malgré elle- une pointe de curiosité. Elle s’avança –ou plutôt elle glissa- en direction de l’inconnu, l’œil méfiant, un peu tendue. Une légère odeur de lessive parfumait le fond de l’air, la jeune femme s’accroupi à la hauteur de son comparse.

Il lui sembla très jeune, peut être à cause de ce visage ovale qui paraissait ignorer toute dureté et de ces yeux noirs, si noirs qu’on n’en discernait pas la pupille. Contrairement à ce qu’elle avait présupposé, il ne s’agissait pas d’un clochard. Ces hardes là se révélaient être des vêtements griffés, et cette tête brune un modèle parfait pour publicité head’n shoulders. Fortiche le petit, il laissa à Natalia la très désagréable impression d’avoir été dupée. Son expression de curiosité non dissimulée se mua lentement mais surement en un rictus de dédain soigneusement calculé. Un rapide examen appris à la traqueuse que la totalité des chaînettes se trouvaient là, pendues aux mitaines de son confrère. Dans un geste presque instinctif elle enfouit ses mains dans les profondeurs des poches de son caban. Pas question d’engager un rapport d’infériorité.

« Besoin d’aide ? »

La question était un peu abrupte, mais il fallait bien ça pour ce prévenir en ces temps de trouble.

Qu’on la vouvoie lui aurait presque plu en d’autres circonstances, mais dans le cas présent, ça n’avait rien de valorisant.
« ‘Et bien, disons qu’on a toujours plus de chance de trouver si l’on cherche à deux. » Elle prononça ces mots sans sourire, ni laisser transparaitre le moindre sentiment. La condescendance était une façade qui ne nécessitait pas qu’on la surjoue. Son interlocuteur avait profité de ce répit pour se lever. Qu’est-ce qu’un homme au sol si ce n’est un homme faible ? – Elle ne tarda pas à réaliser qu’en dépit de son jeune âge l’inconnu la dominait d’au moins deux têtes et émit à ce constat un claquement de langue agacé. « Il n’est pas dans mes habitudes de faire la charité. » Elle haussa un sourcil interrogateur. Peut être l’agressivité engagerait-elle plus facilement le dialogue. Natalia ne connaissait que cela. Depuis qu’elle avait oublié, il lui était presque impossible de communiquer avec les autres en toute simplicité. Elle dû percevoir la gêne et la timidité du jeune homme, car elle fut presque déstabilisée par le remord quand elle eut prononcé ces mots. Son regard fuit. Du visage de son interlocuteur -qu’elle aimait à regarder bien en face-, il glissa sur le mur, grimpa jusqu’aux toits, et s’envola par delà le ciel.

Fuir était une bonne solution pour qui n’était pas assez fort pour affronter la réalité. Peut-être aurait-elle dû s’excuser.


[H-J: Je suis désolée d'être aussi brutale et courte, mais Anaïs réclame mon aide, il faut que j’aille la sauver ! @.@]

Se sentant un peu mieux, Key se leva et repartit en ville. En fin de compte, sa soif ne s’était pas apaisé au contraire, plus il croisa d’humain plus sa gorge le brûlait. Il fixa le sol tout le long qu’il marchait pour ne pas fixer les veines et artères si saillante, encore plus que d’habitude, des habitants qui passaient près de lui. Sa tête était baissée aussi pour qu’ils ne prennent pas peur s’ils croisaient sa tête. D’avoir tellement envie de goûter le sang d’un humain était un peu de la faute à Minho se disait-il et aussi à cause de la forte odeur d’hémoglobine qu’il y avait dans le manoir. Cependant, cette effluve de sang ne lui aurait quasi rien fait si Kibum n’avait pas bu celui de Minho. Oui, il rejeta la faute sur le Traqueur.

Une voix familière raisonna près de lui, il releva la tête rapidement et fixa cette personne : Minho. C’était bien le moment de le croiser, se disait Key. Il soupira d’exaspération quand le jeune homme « râla » contre le vampire, soi disant que ça faisait un moment qu’il le cherchait. Qu’est-ce ça pouvait lui faire à Kibum ? Le vampire capta le mouvement de recul du Traqueur, celui-ci remarquant enfin son état instable. Le suceur de sang pouvait le tuer en un coup de croc à cet instant, même devant ces nombreux témoins dans la rue.

« Vois-tu, je reviens du manoir. Et l’odeur de sang humain était si forte que… »

Un petit rire échappa à Key et vint agripper la tignasse brune de Minho, sans que celui-ci puisse réagir rapidement à l’action du vampire. Il soupira contre le cou du Traqueur «J’ai une soif immense à cet instant. » Il déposa du bout des lèvres un baiser sur la carotide du jeune homme. Certes, le beau brun était armé, les gens de la ville fixaient la scène ? Mais à cet instant, le suceur de sang faisait abstraction de ce qu’il se passait autour, la soif l’aveuglant et le rongeait de part en part. Un soupir d’exaltation se laissa glisser contre l’épiderme de son vis-à-vis.

Cela faisait un moment que Key n’avait pas été comme ça. Etre une ignoble personne, une machine à tuer on pourrait dire. C’était encore un jeune vampire après tout, il n’allait pas tenir interminablement. Beaucoup de jeunes vampires abandonnent rapidement et cèdent à leur envie de chair humaine. Key était l’un d’eux à cet instant. Non sans douceur, il planta ses crocs dans l’artère saillante du cou de celui qu’il s’était jeté dans la gueule du lion sans le vouloir. Kibum allait le regretter quand il reprendra ses esprits, il s’en doutait. Tous les témoins autour de lui étaient en état de choc, criaient qu’on aide ce pauvre Traqueur qui était à la merci du vampire. Key passa du gentil vampire qui fera pas de mal à une mouche à un vampire sanguinaire qui tue avec sang froid.

Les supplications de Minho que seul Kibum pouvait entendre le tuait. Sa main se resserra dans les mèches brunes de son festin actuel, qu’il regrettait de savourer avec un tel plaisir. Key se faisait violence pour arrête de se nourrir du nectar rouge qui coulait dans les veines de celui qu’il aimait. Il rétracta ses crocs et laissa retomber sa main sur l’épaule de Minho. Puis les bras du jeune homme passèrent autour de son corps et le serra contre lui. A première vue, on aurait pu croire qu’il tenta de briser la colonne vertébrale du Traqueur, pourtant cette étreinte reflétait plus du pardon et un soutient pour pas qu’il ne tombe à terre.

Oui. C’est vrai. Un humain arrivait à contrôler un vampire. Etait-ce l’amour qui aidait cet exploit ? Sûrement. Ou alors la volonté de chacun de ne pas blesser l’autre ? Sûrement aussi. Mais tout cela résultait quand même d’un exploit, car peu de vampire écoute les supplications de l’être vivant qu’il est en train, littéralement, de bouffer. Key demanda en silence le pardon à Minho. Il le serra encore plus, pour bien faire croire aux témoins de la scène qu’il tenta d’étouffe ou briser le jeune homme en deux, mais pas pour eux.

**Tires avec ton arme…s’il te plaît…Pour faire croire que tu as réussi à te tirer de là et que tu m’as vaincu. Je suis désolé Minho. J’ai pas pu me contrôler. Tu peux me détester à présent…car c’est pas la première fois que je te fais ça…**

Avec la plus grande discrétion possible, la langue de Key passa sur la trace de ses crocs pour refermer la plaie et que cela cesse de saigner, vu que ça tentait toujours le vampire de le transpercer une nouvelle fois pour s’abreuvoir de cette boisson à la couleur rougeâtre. Key se détesta encore plus à cet instant d’être un monstre sanguinaire qui ne peut résister à l’appel du sang humain.

Lorsque la balle le traversa, Kibum n’a pu réprimer un gémissement de douleur. Bien que cette perforation fût quasi rien en elle-même, c’était le contact de l’argent avec son corps qui le fit souffrir. Il relâcha Minho direct et posa sa main sur sa blessure bénigne. Le vampire jura en coréen envers l’homme en face de lui. Il regarda autour de lui et grogna puis disparu en une fraction de seconde, abandonnant le Traqueur comme un vulgaire déchet sur le trottoir.

Quand il atteignit la forêt, la blessure n’était plus qu’un lointain souvenir. Cependant, à présent seul dans les bois, Kibum repensa à ce qu’il avait fait à Minho. Il cria de rage et colère envers lui-même et défonça à moitié un arbre avec son poing. Il voulait crever à ce moment même. « Deux fois… » se disait-il. Deux fois qu’il a failli tuer le Traqueur qu’il appréciait énormément. Plus de mal qu’autre chose que Key lui faisait subir. Etait-ce comme ça que l’amour se présentait maintenant ? Faire souffrir celui à qui on a donné son cœur ? Enfin pour le vampire, il n’en avait plus vraiment de cœur, mais les sentiments étaient là et ils étaient bien réels.

Il retourna discrètement où la scène s’était passé voir ce qu’il en était de Minho. Kibum n’avait pas prit la peine de se rassasier en sang, puisque d’un il en avait prit abondamment au Traqueur et que de deux, il s’en fichait totalement de se nourrir là. Sa seule pensée était Minho, rien que lui. La tête du jeune vampire se baissa lentement en voyant son bien aimé à terre, les secours lui procurant les premiers soins, les railleries des habitants envers le suceur du sang, dont la mort définitive était plus que souhaité à ce moment là.